Ecrit par Sébastien BARRERE, Daniel HOURQUEBIE pour La Dépêche du Midi
«À part le PSG, la Ligue 1 évolue en 2e division européenne !» Le constat, dressé par Bernard Caïazzo, président du conseil de surveillance de Saint-Étienne, peut paraître sévère. Il décrit pourtant avec lucidité le manque de compétitivité du championnat de France par rapport à ses voisins européens. Économiquement, le football hexagonal paraît, en effet, largué.
Des cinq grandes ligues implantées sur le Vieux Continent, la Ligue 1 enregistre le chiffre d'affaires le plus faible. Sur une saison, le championnat de France génère environ 1,3 milliard d'euros. Une manne «dérisoire» à côté de celles constituées par les Anglais (4 milliards) ou les Allemands (2,45 milliards).
Pour expliquer le retard pris par la Ligue 1, les présidents des clubs français dénoncent notamment la pression fiscale, qui peut néanmoins se justifier socialement. Chez nous, le poids des cotisations sociales est, par exemple, bien supérieur à celui de nos voisins. Pour un salaire de 600 000 € annuels, il faut débourser 60 000 € en L1, 13 500 € en Angleterre, et seulement 4 000 € en Allemagne. Il est évident que la distorsion de fiscalité entre les pays européens, qui engendre un coût du travail différent, joue nettement en la défaveur des clubs français.
Les droits télés représentent 58 % du budget des clubs français
Quant aux montants des droits télévisés, révélateurs de l'attractivité d'un championnat, ils présentent également de grandes disparités selon les pays. Cette saison, les clubs de L1 et L2 ont perçu 639 millions d'euros… quand les Anglais ont encaissé 2,2 milliards d'euros. Et sur la période 2016-2019, les opérateurs devront débourser 7 milliards d'euros pour diffuser la Premier League. Une coquette somme grâce à laquelle le championnat «british» va asseoir son hégémonie sportive. Dans une moindre mesure, la Ligue de football professionnel (LFP) a, elle aussi, renégocié à la hausse le montant des droits télés, qui représentent 58 % des revenus des clubs de L1 (sponsoring : 18 % ; billetterie : 14 % ; autres : 10 %). Ils vont atteindre 748,5 millions d'euros par saison sur la période 2016-2020. Cette augmentation ne va cependant pas permettre aux clubs français de basculer dans une nouvelle dimension, celle des «nouveaux riches». Le champion de France plafonnera autour de 45 millions d'euros par an quand le vainqueur de la Premier League percevra 210 millions d'euros et la lanterne rouge 135 millions d'euros… presque autant que le Real et le Barça !
En Espagne, où la négociation des droits est privatisée (les clubs traitent directement avec les chaînes de télévision), les deux «géants» accaparent le gâteau. Le dernier du championnat touche 11 fois moins que le premier… Confrontés à cette inégalité de traitement, les petits clubs espagnols sont financièrement à l'agonie. Certains éprouvent même des difficultés à régler les émoluments de leurs salariés. Le syndicat des joueurs, qui avait menacé de faire grève en fin de saison dernière, dénonce ce système. Il prône, lui, la mise en place d'un mode de répartition des droits TV plus solidaire.
Contrairement à l'Espagne, les Allemands ne se déchirent pas sur cette question. Pour eux, la problématique concernant les droits télés est secondaire. Outre-Rhin, ce poste ne représente que 30 % du budget des clubs alors qu'il s'élève à 40 % chez les Anglais ou à 60 % chez les Italiens. Malgré les faibles recettes liées aux droits télés, les équipes allemandes sont compétitives sur la scène continentale. Grâce à des stades modernes, construits ou rénovés à l'occasion de la Coupe du monde 2006, et à un fort soutien populaire, elles tirent la majorité de leurs revenus du merchandising et de la billetterie. Avec plus de 40 000 spectateurs par match, la Bundesliga enregistre l'affluence moyenne la plus élevée d'Europe.
L'argent ne fait pas le bonheur mais…
Loin de l'engouement allemand, en Italie les stades sonnent de plus en plus creux (22 000 spectateurs en moyenne la saison dernière et un taux de remplissage de 56 %). Des enceintes, souvent vétustes, où le spectacle est rare. Destination privilégiée des meilleurs joueurs mondiaux dans les années 90, le Calcio peine aujourd'hui à attirer les stars du ballon rond. En 2006, suite au scandale du Calciopoli avec la rétrogradation de la Juventus en 2e division, les actionnaires des différents clubs ont réduit leurs investissements. En difficulté économique, les équipes transalpines n'ont plus le même rayonnement. Pour rappel, la dernière victoire italienne en Ligue des champions date de 2007 avec le sacre du Milan AC. L'Olympique de Marseille, unique lauréat français de la compétition, a, quant à lui, inscrit son nom au palmarès il y a 22 ans. Aujourd'hui en Ligue 1, seul le PSG, et ses 480 millions d'euros de budget, semble armé financièrement pour concurrencer les cadors européens. Le club de la capitale en est l'illustration : si l'argent ne fait pas le bonheur, il contribue grandement à la réussite sportive.
Économie du football : l'autre course à l'euro
Le fossé s'accroît entre riches et pauvres comme en témoignent les budgets des clubs. Et pourtant le jeu continue de susciter toutes les passions. État des lieux à l'heure de l'ouverture, ce soir, du grand bal de la Ligue 1.
Bon finalement, Angel Di Maria, star argentine de Manchester United, a signé au PSG et pas au TFC ou à Guingamp. Pour une bagatelle : 63 millions d'euros ! Une démesure par rapport au train de vie du football français, notamment ces Anglais gavés de droits télés qui rachètent tout ce qui bouge et joue au foot. Jusqu'à quand ? C'est une autre histoire. En attendant, l'amateur de foot va quand même râler contre la course à l'euro et son corollaire, l'accroissement des inégalités entre les clubs qui réduit à petit feu la notion de compétition et même la notion de jeu. Oui, l'amateur va râler et il a raison. Mais encore une fois, dès le coup d'envoi du premier match de la première journée de cette Ligue 1 (Lille-PSG ce soir en ouverture), il va encore s'enthousiasmer car de la grande métropole au plus petit village, la passion pour ce jeu universel reste sans équivalent.
Et pourtant, les conditions de production de ce grand jeu sont souvent jugées scandaleuses, l'argent qui coule à flot ici, des transferts démentiels là, et structurellement, un rapport budget-masse salariale qui coulerait n'importe quelle boîte dans une économie de marché raisonnée. De ce point de vue, le football – qui s'en étonnera – est le reflet, la caricature diront certains, d'une société ultralibérale : officiellement, les vertus du collectif sont certes célébrées mais on ne les retrouve plus guère que dans les clubs amateurs animés par des bénévoles qui tirent la langue. Dans le monde professionnel, et notamment en Ligue 1, on préfère plus souvent les additions. Surtout chez les plus riches. Chez les plus pauvres, on peine à éviter les soustractions. Et dans les classes moyennes, comme le Tef, on se bat pour ne pas subir le déclassement.
Gare à «l'entre-soi» qui tue le jeu
Au plan européen, c'est l'Angleterre, déjà bien lotie par ailleurs, qui fait figure de roi du pétrole. Les 7 milliards d'euros de droits télés qui inondent les clubs anglais finiront peut-être par faire de Bolton ou de Bornemouth (promu en Premier league) de futurs champions d'Europe. Il faut comparer ces 7 milliards aux 750 millions pour la période 2016-2020… et qui font crier misère au football français. Une somme néanmoins considérable qui interpelle les supporters mettant la main à la poche pour aller voir leur équipe préférée.
Car on ne sait jamais : et si le petit mangeait le gros (miracle du football) ? Un «accident industriel» que les patrons de la Ligue s'efforcent d'éliminer, certains rêvant ouvertement sur le modèle «franchise» du basket américain où aucun club ne descend jamais en division inférieure. L'ennui, c'est qu'aucun club ne peut monter non plus ! Autant dire un «entre-soi» mortifère pour le jeu.
Pas possible en France ? À terme, le fossé profond qui s'accentue entre les plus riches et les plus pauvres risque fort d'aboutir à une franchise déguisée (voir Luzenac, cyniquement écarté du bal pro en en 2015). Le PSG champion sortant affiche un budget de 480 millions… et le Gazelec Ajaccio, néopromu, un budget de… 14 millions. À peine de quoi faire ses emplettes mercato au supermarché du coin.
Plus d'euros, moins de talents
Il reste que ce mercato estival français est très révélateur de la nouvelle économie du foot. Au début de la semaine (1), les 20 clubs de Ligue 1 enregistraient quasiment autant de ventes de joueurs que de départs (184 arrivées, 189 départs). Mais le montant de leurs achats était globalement de 136 millions d'euros contre… 246 millions pour les ventes. Un différentiel de 110 millions qui montre que la Ligue 1 s'enrichit (un peu) en euros mais s'appauvrit (beaucoup) en talents. De ce point de vue, le transfert de Di Maria de Manchester au PSG – qui va largement rééquilibrer la statistique précédente – est l'arbre qatari qui cache la forêt. Pour la quasi-totalité des autres clubs, c'est plutôt régime ceinture.
Pour autant rien n'est joué. Et certains commentateurs poussent le ballon un peu loin en donnant dès aujourd'hui le classement final du printemps 2016. Le poids de la finance est prégnant mais la volonté des hommes et la magie du jeu doivent bousculer les déterminismes économiques. Roule, petit ballon, roule.
(1) Site spécialisé Transfermarkt
«La Ligue 1 française, de plus en plus faible»
Interview Olivier Sadran, Président du Toulouse Football Club
Il y a 2 ans dans nos colonnes, vous annonciez «la mort lente et désastreuse» du foot français…
C'est un discours que je maintiens. Tous les autres championnats ont progressé en termes de moyens quand nous avons, au mieux, stagné. Nos revenus stagnent et nos charges augmentent alors que partout en Europe c'est le contraire qui se produit. Par conséquent, la L1 est de plus en plus faible.
La Ligue 1 a enregistré une perte d'exploitation de 271 millions d'euros la saison dernière. Les comptes du TFC sont cependant sains. Quelle est votre recette ?
On gère le club en bon père de famille ! Quand vous gérez votre budget, vous faites attention à ne pas dépenser plus d'argent que vous n'en gagnez. Nous, c'est pareil. On essaie de ne pas dépenser plus que la potentialité de nos recettes.
Quelles mesures devrait-on adopter pour refaire notre retard sur la Premier League ?
On devrait déjà s'interroger sur la compétitivité de notre pays où les charges sociales sont les plus lourdes d'Europe. Ensuite, nos revenus audiovisuels ne sont pas assez élevés.
Les droits télés ont été renégociés à la hausse pour la période 2016-2020. Quelle marge de manœuvre cette augmentation va-t-elle offrir au TFC ?
Cela nous offrira une marge de manœuvre d'1,5 millions d'euros de plus par an. Globalement avec l'augmentation des charges sociales et la suppression d'un certain nombre d'avantages depuis 3 ans, cette somme a, malheureusement, déjà été consommée…